Folles idées

Culte en confinement, l’impossible défi ?

01 mai 2020

Le temps du confinement a conduit bon nombre de prédicateurs de nos Églises à redoubler d’efforts pour maintenir des cultes dominicaux sur la « toile ». Montages vidéo ou événements en « live », l’élaboration d’un « culte numérique » interroge fondamentalement le sens du culte, dans sa forme et sur le fond.

Temple de La Rochelle © Guillaume de Clermont / dianakuehn30010-Pixabay

Si nous tentons dans cet article une relecture critique (dans le « bon » sens du mot !) des productions-vidéos que nous avons pu regarder, nous voudrions exprimer une très vivre admiration et une grande reconnaissance pour la créativité de tous ceux et celles (en grande majorité des ministres) qui, depuis le début du confinement, déploient des efforts considérables pour maintenir le lien communautaire et annoncer l’Évangile.
Des prières et des messages de qualité, des prédications travaillées, habitées, en prise avec l’actualité, des paroles réconfortantes et chargées de promesses, bref, l’accomplissement du « ministère de la Parole » qui fait honneur au rayonnement du protestantisme. Avec ces remerciements nous souhaitons reconnaître à sa juste valeur le ministère de la Parole auquel les pasteurs consacrent toute leur vie et dont l’Église a besoin pour consolider sans cesse ses fondations en Jésus-Christ.

Créativité et expériences

Nous avons donc regardé de nombreuses productions-vidéos diffusées avec toute la panoplie des outils disponibles : Facebook « live », chaîne « YouTube » avec diffusion en « live », vidéos enregistrées à l’avance (dans les conditions du direct, avec ou sans montage) mises en ligne à l’heure habituelle du culte, « visioconférences », vidéos diffusées dans des groupes WhatsApp, etc. Avec quelques recherches, le lecteur pourra retrouver un grand nombre de ces productions disponibles sur le net. Pasteur en robe, filmé dans un temple (parfois dans la chaire) en plan fixe, intervenant pasteur ou non-pasteur (aucun signe ne permet de le savoir) filmé dans un lieu neutre avec un cadrage en gros plan, pasteur dans son bureau avec plusieurs intervenants dans un format interactif qui permet le dialogue avec les internautes… Les productions sont très variées et créatives. Ce qui les relie, c’est qu’elles sont souvent plus courtes qu’un culte traditionnel, 20 à 30 minutes en moyenne. La qualité de la réalisation (son et image) est souvent un peu artisanale, mais tout à fait acceptable au regard des autres documents publiés sur le Web, et l’on retrouve dans la plupart des diffusions le souci réel de l’intervenant de s’adresser à sa « communauté invisible » pour la soutenir, l’encourager et partager avec elle la Parole de Dieu.

Forces et faiblesses

La force des « cultes » en vidéos est qu’ils sont enregistrés. L’internaute sait qu’il peut décrocher quelques instants ; et il peut revenir. Il peut quitter totalement et il pourra voir la suite à un autre moment. Il peut couper le son librement et ne suivre que quelques moments dont il a envie (la prédication, la louange, etc.). Un autre point fort, c’est que chacun, là où il se trouve, peut choisir le lieu et le moyen (ordinateur, smartphone ou tablette, casque ou sans caque, etc.) pour s’associer au temps de culte. Et si l’horaire de la diffusion annoncée ne convient pas, l’internaute retrouvera la vidéo au moment qui lui conviendra (c’est la faiblesse d’un culte « interactif » qui offre un espace de dialogue à vivre en direct !).
Ce qui apparaît comme plus difficile à résoudre est le choix entre un instant « communautaire » pensé d’abord pour les membres de l’Église locale invités à se connecter à l’heure indiquée (comme s’ils se rendaient le dimanche au culte) et le « grand public » qui peut librement regarder l’événement en live. Dans la majorité des vidéos regardées, les auteurs ont conçu leur production comme s’ils s’adressaient aux membres réguliers de leur communauté. Le présupposé est qu’un nombre important de membres de l’Église locale formeront une « communauté invisible » en regardant au même moment la diffusion.
L’outil vidéo pallie l’absence de liens communautaires in presentia. L’intention est louable. Mais on peut s’interroger sur la pertinence de l’outil vidéo pour l’exercice. D’autant que les plans fixes dans un temple ou dans un bureau peuvent vite devenir lassants pour l’internaute. Ne serait-il pas plus pertinent de se limiter à un enregistrement sonore qui concentre plus efficacement l’attention de l’auditeur sur ce qui est dit (l’essentiel ?!) plutôt que sur ce qui est montré ?

La forme et le fond

Ce qui nous semble intéressant dans le foisonnement d’initiatives, c’est que le culte est interrogé à la fois dans sa forme et sur le fond. Comme rite d’abord, parce que nous associons spontanément le culte au dimanche alors que, dans un format numérique disponible à tout moment, le culte échappe à la temporalité dominicale, chacun gardant la liberté de consacrer un temps à Dieu quand il le souhaite. Pourtant, la plupart des vidéos produites sont diffusées le dimanche à l’heure habituelle du culte.
Mais le culte est aussi interrogé sur sa forme parce qu’il faut bien admettre que, privés de communauté présente, nous n’avons plus grand-chose à montrer, si ce n’est nos temples vides, des locaux neutres et parfois le bureau pastoral. Quant à nos liturgies, à la différence d’une messe catholique ou orthodoxe, il est bien difficile de les rendre photogéniques excepté l’image de l’officiant, seul, habitant sa liturgie et son message ?
Mais nos cultes sont aussi interrogés sur le fond. D’abord, nous avons bien conscience qu’il est nécessaire de raccourcir nos liturgies pour en conserver l’essentiel (sinon, nous perdons nos internautes qui se lassent !). Alors que faut-il conserver ? La confession du péché et l’annonce du pardon ? La confession de la foi ? La prière d’intercession ? Nous voilà sur des questions fondamentales. Les auteurs des cultes proposés en format vidéo font des choix variés.
Sur le fond encore, parce qu’en regardant un culte sur internet nous percevons combien la prédication est peu photogénique, à moins d’associer au message des images ou des vidéos (mais nous ne sommes pas des réalisateurs !). L’événement de la prédication (parole d’homme devenant pour ceux qui l’écoute dans la foi Parole de Dieu) est difficilement traduisible en image ; il l’est d’autant moins lorsqu’il n’y a plus d’assemblée visible. Un message bref et percutant (quelques minutes seulement) permettrait sans doute de surmonter la difficulté. Mais est-ce bien ce que nous voulons ?

Renoncements et choix

Ainsi, la crise du Covid-19 crée une situation inédite. D’ordinaire, les habitués viennent au temple pour y entendre la proclamation de la Parole de Dieu. L’Église visible est ainsi rassemblée et porte l’Église invisible (ceux et celles qui ne sont pas présents) dans sa prière. Désormais, confinement oblige, chacun entend chez lui la proclamation de la Parole de Dieu à l’aide d’un écran ou d’une radio. L’officiant, visible, proclame la parole de Dieu pour l’Église invisible. Voilà une belle occasion de revisiter le culte dans sa forme et sur le fond et de questionner à nouveau sa fonction au cœur de la vie communautaire. Et peut-être faudra-t-il accepter que la diffusion d’un culte sur internet impose des renoncements et des choix préalables, au risque de mettre l’auteur du culte dans un impossible défi ?

Guillaume de Clermont

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