Hommage à Serge Guilmin
Serge Guilmin, pasteur de la paroisse réformée d’Aurillac dans le Cantal et grand lecteur éclectique, est décédé à Laroquebrou en janvier dernier.

© Marie Baron
Né en Angleterre en 1929, Serge Guilmin avait été adopté par une famille protestante de Provins en Seine-et-Marne. Après avoir exercé les métiers de prothésiste dentaire puis d’agent d’assurance et s’être investi dès son adolescence dans les associations protestantes, il entreprend des études de théologie. Il complète sa formation à Prague et devient pasteur de l’Église réformée. Il est alors nommé dans le Cantal où il rencontre Renée, professeure d’espagnol, directrice de collège, qui ne quittera jamais Laroquebrou. Serge Guilmin sera alors pasteur à mi-temps du Cantal et chargé de mission par l’Église réformée le reste du temps. De sa jeunesse, Serge ne gardait que de bons souvenirs. De son mariage avec Renée et de ses deux enfants, que des années de bonheur.
Serge était un théologien de qualité comme en témoignent ses deux livres publiés aux éditions Eivlys, Paroles ouvertes et Traces de pas. Ses lectures étaient éclectiques, avec une préférence pour les auteurs qu’il qualifiait de « non alignés », tels que Claudel, Mauriac, Bernanos... par opposition à ceux soumis aux normes de la morale régnante : Sartre, Camus... Ses lectures lui permettaient « de savoir pourquoi [il vivait] et comment [il pouvait] vivre autrement ». Il ne lisait pas « pour savoir ce qu’[il devait] faire ». Il disait : « les livres ne nous tournent le dos que pour nous appeler vers les ailleurs qu’ils recèlent. »
Nos entretiens portaient sur les textes de Shmuel Trigano, Paul Lévy, Martin Heidegger, Emmanuel Lévinas, Roland Barthes, Paul Ricœur, Georges Bataille, Jacques Derrida... Il comparait Antonin Artaud au Job de la Bible. Maurice Blanchot le passionnait pour ce qu’il appelait dans sa littérature « la solitude exorcisée ». Il considérait la poésie de Paul Celan, juif de la Bucovine rescapé des camps d’extermination, précieuse pour l’Europe présente et à venir « parce qu’elle rend attentif au lendemain de la plus grande et la plus meurtrière aberration du siècle ». Sa rencontre avec les écrits d’Edmond Jabès, puis de l’auteur lui-même, l’a profondément marqué. Il a trouvé dans l’écriture de Jabès « le correctif nécessaire, l’antidote contre les effets de la philosophie dominante héritée de Descartes. Philosophie de l’exactitude partant de la certitude de soi et peut-être de l’oubli de l’autre. Ici en revanche, réouverture de la parole, du questionnement, de la non-certitude au lendemain de toute certitude acquise ».
Il avait avec le Coran et les penseurs islamiques un commerce régulier et il me disait fréquemment : «lorsque nous rencontrons l’Islam à travers le texte du Coran et à travers ses productions intellectuelles, c’est en grande partie avec le refoulé de la culture chrétienne que nous avons affaire ». Il regrettait que Al-Ghazâli ait freiné, au XIIe siècle, la recherche philosophique développée par ses prédécesseurs, tout comme il estimait que le christianisme devenu religion d’État au IVe siècle avait fait que « ce qui était destiné à donner à penser [était] devenu immuable parole. Le Symbole des Apôtres est devenu un récit auquel il faut croire sans comprendre et sans chercher à comprendre ».
Nous conserverons de Serge Guilmin l’image d’un pasteur proche de chacun, soucieux de notre bien-être, dont l’ouverture d’esprit et la tolérance ont nourri notre communauté durant de longues années.