Rencontre oecuménique

Un pasteur et un prêtre

27 décembre 2019

Les relations entre les communautés catholiques et protestantes de Bordeaux-Mérignac vont largement au-delà de la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Entretien détendu avec deux hommes d’Église.

Le prêtre Vincent Garros est délégué adjoint de la pastorale de la santé à Bordeaux, plus particulièrement chargé de l’accompagnement des personnes ayant un handicap dans le cadre de la Pastorale des Personnes Handicapées. Il accompagne aussi l’équipe d’aumônerie de l’hôpital Charles Perrens de Bordeaux.

Son parcours l’avait préalablement amené à exercer à l’aumônerie des étudiants, comme responsable de secteur et curé sur le secteur pastoral de Mérignac.

Pascal Vernier est pasteur de l’Église protestante unie, en poste pour l’Église locale de Bordeaux-Mérignac. Il avait préalablement dirigé le Foyer fraternel à Bordeaux.

 

Ensemble : En janvier a lieu la Semaine de prière pour l’unité des chrétiens. Pour qui et pour quoi prie-t-on ?

Pascal Vernier : On prie les uns avec les autres, car on a deux traditions différentes, mais les choses essentielles sont en commun ; Dieu est pour nous tous. On prie les uns pour les autres car il y a une grande proximité et de la confiance entre nous. On se connaît bien car on parle, dans le groupe œcuménique, du contenu de notre foi, de ce qui nous anime. Ensemble dans une communauté spirituelle, on peut avancer ce qu’on est, ce qu’on croit, ce qu’on espère.

Vincent Garros : Depuis quinze ans, on a une histoire commune dans ce secteur. Mes premiers pas au niveau de l’œcuménisme ont été avec le pasteur Galtier et les protestants de Bordeaux-Rive Droite. Je venais à la fête annuelle, à un groupe de lecture biblique. Comme il n’y avait pas de groupe de jeunes dans leur paroisse, les jeunes protestants venaient souvent à l’aumônerie. J’ai toujours été dans cette mouvance de vivre en lien avec les autres communautés chrétiennes environnantes.

 

E : Est-ce que la Semaine de l’unité est réductrice de l’unité ?

PV : Les catholiques ont intégré cette Semaine dans leur rythme liturgique et ont, du coup, pris l’engagement de fréquenter les protestants. L’ACAT (Association Chrétienne pour l’Abolition de la Torture) a aussi apporté beaucoup comme lien œcuménique. Localement, l’œcuménisme s’est étendu avec le groupe prière de Taizé, un groupe de lecture biblique commun, des rencontres... Des amis catholiques viennent participer aux cultes, c’est signe que l’Église joue son rôle d’accueil.

VG : L’œcuménisme doit être quotidien. Lors de la Semaine de l’unité, il y a des grands rassemblements à Bordeaux autour de l’évêque. À Pâques, il y a aussi un événement commun.

La Semaine de l’unité nous encourage à aller plus loin. Je fais partie des rares dans le diocèse à être animé par ce désir de liens. Malheureusement, on assiste plutôt à un mouvement de retour communautariste avec le latin, les soutanes… Certains mouvements catholiques ne sont pas du tout favorables à l’œcuménisme malgré le dernier concile (Vatican II). La peur qui est derrière ces comportements est celle de la perte de la foi ; on resserre les rangs, on affirme sa foi et son identité catholique, avec les manifestations que vous connaissez.

PV : C’est un réflexe de repli, mais c’est au contraire dans l’ouverture qu’on peut confronter les théologies et les cultures.

VG : Aujourd’hui, être proche des protestants n’est pas très bien vu car on ne respecterait plus l’identité catholique. La suspicion de l’éloignement de la pureté de la foi n’est pas loin.

 

Suite p. 36-37.

 

[3556 - Fin page 5]

 

 

Suite p 36-37 :

 

E : Le verset pour la Semaine de l’unité est : « Ils nous ont témoigné d’une humanité peu ordinaire ». Est-ce la vocation du chrétien de témoigner d’une humanité peu ordinaire ?

PV : Si on arrive à être témoin d’une humanité, à parler du lien humain qu’on établit à travers le Christ les uns avec les autres, on est en plein dans la cible. Nous sommes dans une société de plus en plus violente aujourd’hui. Il faut arriver à témoigner devant la société que les hommes restent des humains. On n’est pas des mécaniques, on n’est pas en concurrence, le voisin ce n’est pas un ennemi ; on doit lutter contre ce qui est en train de se mettre en place, contre les replis.

On vit dans un monde violent, on a peur de la concurrence religieuse aussi avec l’islam. L’autre devient incompréhensible, potentiellement un ennemi ; il y a une perte de le qualité dans les relations humaines. Cela engendre de la souffrance. Il faut donc témoigner en faveur de l’humanité.

VG : Dans les Écritures, il y a un mot qui me plaît, c’est « l’hospitalité ». C’est de ça qu’il faut être témoin et acteur. Pas seulement être de ceux qui donnent des leçons, mais se mettre à l’œuvre pour maintenir l’hospitalité, en commençant par celle d’Abraham et celle de Malte (avec Paul). Pour la célébration de la Semaine de l’unité au mois de janvier, nous avons prévu de mettre un bateau avec des gilets de sauvetage dans la décoration et évoquer ainsi la situation des migrants.

E : Nous sommes rendus capables d’hospitalité parce que Dieu s’est engagé pour nous rendre humains avec le Christ. Comment Dieu nous rend-il capables d’humanité ?

VG : La question de l’incarnation nous invite à comprendre cela. Comme cette personne qui disait à la télévision : « Je ne suis pas un nègre, je suis un humain ». Comment parle-t-on de l’autre, comment le définit-on ? Les personnes handicapées, est-ce que ce sont bien avant tout des personnes avant leur handicap ? Pour les naufragés, est-ce que ce sont bien d’abord des personnes, des humains avant d’être des migrants ?

 

Ensemble : Comment aide-t-on les personnes à retrouver le chemin de l’humanité ?

VG : La question dépasse les conflits idéologiques ou théologiques. Nous avons choisi de soutenir la CIMADE avec la collecte de la célébration œcuménique car leur action est essentielle ; il faut faire chorus avec ceux qui sont acteurs dans le domaine. Nos Églises sont timides sur le sujet, car le sujet est politique ; or, nous devons « faire de la politique » quand il s’agit d’engagement humain et social. Ce sont des choix, il faut interroger la marche du monde. Il y a une manière chrétienne de vivre des valeurs humaines ; ce qui change, c’est la place du Christ. Comme l’expliquait déjà Diognète dans son épître (fin iie siècle), le chrétien agit presque comme les autres ; en revanche, il a le Christ et c’est ça qui fait la différence.

 

E : Quand une personne entre dans un temple pour le visiter, la question invariablement posée est « Quelle est la différence entre protestants et catholiques ? ». Que répondriez-vous ?

VG : Je commence toujours par parler de ce qui nous unit : le chant, la prière, la lecture de la Bible, sacrements communs. Les deux traditions peuvent se retrouver.

Souvent, quand cette question est posée, le mieux est de ne pas répondre, car les personnes n’ont pas spécialement envie d’entendre votre réponse. Ils arrivent avec des idées « toutes faites » qui ont la vie dure, par exemple l’affirmation « Oui, mais les protestants ne croient pas à la vierge ! ». Le reste leur importe peu.

PV : Laurent Gagnebin (professeur de théologie) disait qu’il y a trois éléments qui différencient catholiques et protestants : un homme, une femme, et une chose. L’homme c’est le pape, mais on constate qu’actuellement beaucoup de protestants reconnaissent les qualités du pape François ; la femme c’est Marie, mais les protestants la reconnaissent comme la mère du Christ (ça n’est pas rien !) ; et une chose, c’est l’eucharistie qui est mémoire, souvenir vivant qui nous ramène à une présence réelle du Christ dans nos vies ; ça veut dire quoi la présence réelle pour les catholiques, si ce n’est la présence réelle du Christ ?

VG : Souvent, dans les sanctuaires mariaux comme à Lourdes, les personnes recherchent à travers Marie quelqu’un qui les écoute, qui les considère comme humains. À Delphes, il se passait la même chose : lieu d’initiation, lieu de libération ; les grands sanctuaires fonctionnent comme des lieux qui prennent soin des gens.

E : Pourrait-on ouvrir nos églises, afin d’en faire des lieux où l’on prend soin des gens ?

VG : On doit travailler la proximité avec les personnes. En paroisse, je venais une heure avant, j’ouvrais l’église. Des personnes entraient, brûlaient des cierges et priaient mais ne restaient pas à la messe. Ces personnes se sentaient exclues : non baptisées, avortement, divorce, remariage ? Elles venaient prier Marie (une femme nous comprend mieux !). Finalement, c’est par le lien humain, en manifestant l’hospitalité par un café et quelques biscuits que nous avons réussi à en prendre soin. Être accueillants, on doit le travailler car les gens sont isolés, ils ont besoin d’être écoutés.

 

E : La question de la place des femmes dans l’Église avance-t-elle ?

VG : La place des femmes progresse car elles sont de plus en plus nombreuses et militantes ; heureusement qu’elles sont là. Certaines ont suggéré de faire grève pour que les hommes prennent conscience que sans elles l’Église ne tourne pas ! Aujourd’hui dans les Églises, il y a un déficit d’hommes (je ne parle pas des prêtres) ; les hommes traditionnellement restaient sur la place du village pendant les enterrements, considérant que la religion est une affaire de femmes.

PV : On n’a pas du tout cette problématique. D’ailleurs, puisqu’on parle des femmes et des hommes, l’Église catholique se prive d’une force vive en tenant à l’écart les divorcés remariés.

VG : Un travail de compréhension de l’échec, une démarche pénitentielle et de réintégration serait intéressante. Malgré la volonté du pape, cela avance très difficilement.

 

E : La sécularisation de la société signe-elle la fin des religions ?

VG : La laïcité est érigée en religion ; ça sera peut-être la fin des grandes religions, mais pas la fin des religions car l’être humain est un être croyant. Le phénomène religieux augmente (New Age...). On préfère souvent croire à l’arbre sauvage qu’au Christ. Tout est fait aujourd’hui pour disqualifier les religions.

PV : La croix n’est pas vraiment un symbole qui colle à la société hédoniste (recherche du plaisir) !

L’évangélisation a bien été faite et on observe une dilution des valeurs protestantes dans la société. Notre avenir est lié à l’ouverture, dans le dialogue, dans la confrontation, dans l’accueil, dans le respect des personnalités.

VG : Et être acteur dans la vie civile, dans l’hospitalité, l’accueil des autres, dans l’ouverture à la science (rejet de l’obscurantisme) et dans le questionnement : « Où va l’argent, qu’en faites-vous ? ».

PV : Cette question a été posée à notre dernier synode. Quelles conversions, en parlant de l’équilibre de l’humanité, alors qu’on est dans de grands déséquilibres économiques ?

 

E : L’écologie concerne-t-elle l’Église ?

PV : Il est certain que la Bible n’est pas un outil pour parler de climat, de nature, de ciel ou de pollution ; en revanche si on parle d’écologie dans le sens de sauvegarde de la justice, dans le cadre de la vie commune, la Bible a beaucoup à dire. Les protestants de Bordeaux ont choisi depuis longtemps de mettre la diaconie au centre et en avant, pour accueillir l’autre parce qu’il est humain·e.

VG : L’écologie humaine, c’est le respect de l’être humain, quelle que soit sa déficience, son étrangeté, ses souffrances. On peut vivre et cheminer avec eux grâce à l’Évangile.

Le prêtre Vincent Garros est délégué adjoint de la pastorale de la santé à Bordeaux, plus particulièrement chargé de l’accompagnement des personnes ayant un handicap dans le cadre de la Pastorale des Personnes Handicapées. Il accompagne aussi l’équipe d’aumônerie de l’hôpital Charles Perrens de Bordeaux. Son parcours l’avait préalablement amené à exercer à l’aumônerie des étudiants, comme responsable de secteur et curé sur le secteur pastoral de Mérignac. Pascal Vernier est pasteur de l’Égl...
Article réservé aux abonnés - Pour vous abonner : cliquez ici
Corinne Gendreau
Journal Ensemble

Commentaires