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Protes'Temps-Histoire

Alfred de Luze : un Suisse protestant immigré à Bordeaux au XIXe siècle.

05 mai 2017

Alfred de Luze (1797-1880) arrive à Bordeaux en 1820 pour faire fortune. Cette ville ne lui est pas inconnue, car son grand-oncle Jean Jacques de Bethmann y a fait fortune au XVIIIe siècle avant d'être ruiné par la révolte des esclaves de Saint Domingue. Alfred de Luze a pour mission de redresser la maison Bethmann qui périclite, mais il ne s'entend pas avec son cousin Édouard de Bethmann, peu ardent au travail. Il fonde donc en 1826 la maison de Luze et Dumas grâce à des prêts de capitaux de sa famille maternelle, les grands banquiers Bethmann de Francfort, et paternelle, les de Luze fabricants d'indiennes à Neuchâtel, et avec le concours d'Émile Dumas formé à la banque Bethmann.

 

Commerçant prospère

L'affaire prospère très rapidement, important des bois merrains, des toiles de voiles, des conserves et exportant des vins en Europe du Nord et en Russie. Mais en 1836 à la suite d'une erreur de vinification d'Émile Dumas, le stock est détruit et l'affaire liquidée –à charge pour chacun des associés de rembourser 50% des dettes. Cela n'empêche pas Alfred de Luze de fonder dès 1842 une nouvelle maison « A. de Luze » en faisant à nouveau appel à sa famille et ses amis pour récolter des fonds. Très travailleur –il dit avoir travaillé comme un forçat pour rembourser ses emprunts–, il réussit à nouveau et devient un notable bordelais. Il avait épousé en 1827 Georgina Johnston, issue d'une famille de négociants britanniques installés à Bordeaux en 1739 ; celle-ci meurt brutalement en 1845 laissant Alfred seul avec cinq fils dont le dernier n'a que quelques mois.

Père de famille

Alfred de Luze devient donc responsable de l'éducation d'une famille à laquelle il porte une grande attention. Il initie ses fils au commerce les envoyant comme commis à Paris (banque Opérant), au Havre (maison Manderont), en Allemagne à Francfort et Berlin, puis en leur faisant prospecter les marchés russe, japonais et américain. Mais tous les fils n'avaient pas la fibre commerciale et, en particulier l'aîné, William, qui décide de quitter Bordeaux pour retourner en Suisse chez sa famille paternelle à Chigny. Il s'y marie en 1857 avec Élise de Venoge et fait souche sur place. A. de Luze prend sa belle-fille en affection et échange avec elle un millier de lettres entre 1857 et 1880 dont la lecture a permis la rédaction de cet ouvrage. Alfred de Luze a le souci de « bien marier » ses fils, l’un avec Sophie Marchand, fille d’un négociant en tissus Alphonse Marchand, maire de Montendre, les trois autres avec des Suissesses apparentées : Marie de Mandrot, Cécile de Fay-Solignac et Cécile Borel, toutes fortunées et protestantes. Il est donc frappant de constater que ce notable bordelais n'a uni aucun de ses fils avec une Bordelaise ce qui nous rappelle que l'intégration n'était pas alors facile pour les immigrés.

« Alfred de Luze est un protestant convaincu et fidèle ».

Protestant

Alfred de Luze, descendant de Jaques Deluze réfugié à Neuchâtel en 1685, est un protestant convaincu et fidèle. Il voit avec bonheur la communauté protestante de Bordeaux se réveiller, acquérir « pignon sur rue » et participer à toutes les activités de la cité. Ainsi en 1827, un cimetière est ouvert rue Judaïque, mettant fin aux inhumations clandestines dans des terrains privés, des chais ou des caves. En 1835, l'immense temple des Chartrons, œuvre de Corcelles, est inauguré rue Notre Dame grâce essentiellement aux dons des fidèles. Des écoles de garçons et de filles sont ouvertes pour les garçons et filles méritants dans les locaux des temples ; elles sont financées par les dons des fidèles qui permettent aussi d'assurer le repas de midi et des vêtements. Des salles d'asiles sont également fondées permettant aux mères d'y laisser leurs jeunes enfants et d'aller travailler. Le Diaconat a repris dès 1805 son assistance aux démunis pour lesquels il assure le paiement des loyers, le bois de chauffage, la nourriture et les vêtements, sous réserve que les bénéficiaires envoient leurs enfants à l'école et viennent avec eux au culte le dimanche. Depuis 1829, une Société de bienfaisance des dames a été créée à l'initiative du pasteur Antoine Vermeil, futur fondateur des Diaconesses, qui mobilise pour les mêmes tâches les bonnes volontés féminines. Ces deux organismes sont intégralement financés par les dons des fidèles.

Enfin deux œuvres majeures sont fondées : en 1847, l’Asile des vieillards destiné à accueillir gratuitement les infirmes et les personnes âgées démunies ouvre ses portes. Les familles Guestier et Johnston offrent une maison et du mobilier : elle compte une vingtaine de pensionnaires hébergés gratuitement qui participent à la mesure de leurs forces à l'entretien de la maison et ont pour obligation d'assister au culte chaque semaine.

« Alfred de Luze patronne la Maison de Santé Protestante (M.S.P.) dès son ouverture et donne généreusement aux ventes de charité que ses belles filles organisent »

Mécène de la M.S.P

En 1863, une Maison de santé (M.S.P.) est ouverte rue Cassignol, dirigée à partir de 1865 par Mme Anaïs Momméja, veuve de pasteur, elle offre des soins gratuits et si besoin une hospitalisation aux malades et aux vieillards démunis. Mme Momméja multiplie les initiatives en offrant des soins d'infirmières à domicile en ville, et la création d'un cours gratuit de premiers soins pour femmes et jeunes filles. Ce cours est dirigé par Mme Gross-Droz, une ancienne élève. La M.S.P. abrite en 1870-1871 un service de vaccination et elle acquiert une maison à Arcachon pour soigner les enfants tuberculeux. Alfred de Luze patronne cette œuvre dès son ouverture et donne généreusement aux ventes de charité que ses belles filles organisent dans les salons de la grande maison, le château de Rivière, qu'il a fait bâtir par l’architecte Gustave Alaux. Il se rend au culte régulièrement et déplore la baisse de fréquentation de ce dernier qu'il impute aux prises de position théologiques, trop libérales à son goût, des pasteurs ou à leurs opinions politiques républicaines.

Incarnation de la diversité protestante

En bon protestant, il médite tous les matins les « Saintes Écritures » et veille à l'éducation religieuse de ses enfants et petits-enfants, à la confirmation desquels il se rend toujours. Ainsi au XIXe siècle, un luthérien (Alfred de Luze a été baptisé à la cathédrale de Francfort), éduqué dans le calvinisme en Suisse par son père et époux de Georgina Johnston, une anglicane, accepte la diversité du protestantisme. Il est d’ailleurs très mécontent lorsqu'en 1843, les anglicans ouvrent une chapelle sur le pavé des Chartrons comme le feront en 1863 les luthériens qui ouvrent une chapelle allemande -scandinave rue Tourat pour laquelle il refusera tout financement. Ainsi la correspondance d'Alfred de Luze révèle la vie mouvementée, les réussites et les échecs d’un protestant convaincu. Elle montre bien l'importance du travail acharné d’un entrepreneur et le soutien majeur constitué par le réseau international des relations familiales et commerciales. La mondialisation déjà !

En savoir plus

Auteure de Alfred de Luze, un négociant en vins à Bordeaux (1797-1880).

Séverine Pacteau de Luze,
Historienne.

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