Michel et Pierre Bérauld : deux pasteurs de combat
La ville de Montauban, déchirée par les guerres de religion, ne possédait plus aucun collège. Il fut décidé à la fin du 16e siècle de construire ce qui devint le Collège de Navarre. Le Synode de Montpellier en 1598 décida d’établir à Montauban une des deux Académies protestantes françaises. Logée dans les vastes locaux du Collège de Navarre, la renommée de cette Académie ne tarda pas à se propager dans les pays acquis à la Réforme, grâce notamment aux Bérauld, père et fils.
Le synode de Montpellier en 1598 décida de la création de deux Académies : une à Saumur et l’autre à Montauban.
Le terme « Académie » avait été choisi par les Réformés pour imiter la ville de Genève où l’université était connue depuis Calvin sous ce terme. Les réglements de cette institution furent publiés et lus publiquement au Grand Temple de Montauban le 22 octobre 1600 : « L’Académie qui se dresse à Montauban avec la permission du roi, à la requête et supplications des Églises Réformées de France, sera composée des docteurs et professeurs publics, en théologie, jurisprudence, médecine, mathématiques, langues hébraïque et grecque, de professeurs qui enseignent la physique, la logique, l’éloquence et la grammaire. » Michel Bérauld, qui occupait la chaire de théologie, fit très vite la réputation de cet établissement.
Professeur brillant et contesté
Michel Bérauld naquit au Mans en 1537 ou 1538. Il avait vingt ans quand il fut séduit par la Réforme. En janvier 1561, on le trouve à Aulas, dans les Cévennes, et l’année suivante, ministre du culte à Lodève. À Béziers, il va fuir la persécution pour se retirer à Montauban où il restera jusqu’en 1569. Il écrit beaucoup et se fait ainsi connaître de la France protestante. Michel Bérauld est considéré à cette époque comme un des ministres les plus éminents des Églises réformées de France. En 1598, il préside le synode national de Montpellier et, par ses écrits, il prouve la légitimité du ministère évangélique contre les attaques des théologiens catholiques. C’est en 1600 qu’il inaugure ses cours de théologie à l’Académie de Montauban nouvellement créée. C’est un homme de parti, sans concessions. Il est pour une liberté de conscience complète. En 1606, l’Académie de Saumur se trouve sans professeur de théologie et Michel Bérauld est sollicité pour pallier à cette absence. Il accepte, quitte Montauban et se fait remplacer dans ses fonctions de pasteur et de professeur par son fils Pierre. La bourgeoisie de Montauban, qui appartenait au parti modéré, se saisit de cette occasion pour se débarrasser des Bérauld.
Soutenu par le peuple et le synode
Mais les Bérauld avaient des partisans, surtout dans la classe ouvrière. Les discussions se firent nombreuses au niveau du Consistoire et du Conseil de la ville. Le synode de la Rochelle soutint les Bérauld en décidant qu’à partir du 15 août 1607, le fils Pierre remplacerait définitivement le père à Montauban, lorsque celui-ci désirerait s’arrêter. Michel Bérauld reprit pour peu de temps son poste de professeur. Il mourut le 20 juillet 1611. Son fils le remplaça, en 1618. Il reprit la chaire de son père, et occupa le logis paternel situé à quelques pas de l’Académie. Au début de cette rue Armand Cambon, on peut encore apercevoir la devise que Michel Bérauld avait fait graver au dessus de la porte d’entrée : un soleil avec ses rayons et des mots grecs : « d’utilité commune » et les mots latins : « NON SIBI (non pour soi) », ce qui amenait son fils Pierre à faire cette constatation : « Je n’entre jamais chez moi que je n’y voie la devise de mon père : un soleil ‘d’utilité publique’ avec un ‘NON SIBI’ en dessoubs. »
Un fils zélé
Pierre Bérauld est né à Réalmont en 1577. Il fera des études de théologie et, en 1603, il est pasteur à Bergerac. En 1618, il est appelé à la chaire de théologie de l’Académie de Montauban et il est confirmé dans cette fonction par le synode d’Alais en 1620. Il a hérité de l’ardeur de son père. Il n’hésitera pas à prêcher la résistance, même armée, face à la monarchie et critiquera sévèrement les pasteurs « modérés ». Le Bret, cet ancien compagnon de Cyrano, disait de lui qu’il n’était « qu’un être brutal, auquel le consistoire avait refusé la chaire à cause d’une vie licencieuse. » Les pasteurs modérés appuyèrent cette critique et le firent condamner au synode du Haut-Languedoc en 1625. Après enquête, il fut innocenté par le synode national de Castres en 1626. Mais auparavant, il eut une conduite remarquable pour exalter le courage des Montalbanais pendant le siège royal de 1621. Sur ces mois de bruits et de fureur, il écrivit L’Estat de Montauban depuis la descente de l’Anglois en Ré le 22 juillet 1627, jusqu’à la reddition de La Rochelle : un in-8° de 161 pages dédié au duc de Rohan. L’ouvrage parut en 1628. Après l’hommage au Duc de Rohan, Pierre Bérauld attaque le parti des modérés : « De quel front donc ose-t-on tourner à blasme que je monte à cheval, puisque par mes prières à Dieu, par mes exhortations et encouragements aux soldats et à la teste des troupes, je vois tous les jours le fruit de mes travaux ? » Il en vient ensuite aux calomnies qu’il a eu à subir : « J’ay eu affaire à deux différentes sortes de gens qui selon la diversité et la perversité de leur humeur m’ont diffamé comme flambeau et trompette de guerre, fusil et flammesche de combustion et pis ne peut on dire d’un homme non que d’un serviteur de Dieu. » Plus loin, il se confesse : « Je suis françois de naissance et d’affection, Chrestien de conscience, Pasteur de profession, filz et héritier de la fidélité de mon Père, au service de Sa Majesté à la gloire de son sceptre… »
…et attaché à sa ville
Suivent alors 168 pages manuscrites qui fourmillent de détails et de personnages multiples. On sent que la situation de Montauban est liée au destin de La Rochelle, sa sœur réformée, assiégée par les troupes royales. On a, de temps à autres, des nouvelles de la ville assiégée : en juillet 1627, une armée anglaise descend dans l’Ile de Ré et assiège le fort Saint-Martin ; en novembre, Morin, le conseiller à la chambre de Guyenne, envoyé à Montauban par le duc d’Épernon, fait connaître la retraite des Anglais de l’Ile de Ré. Les prières publiques sont faites dans les temples de Montauban pour le succès de l’armée anglaise venue au secours de La Rochelle. C’était en octobre 1628 et le 4 novembre on apprenait la capitulation de la ville protestante. La reddition de La Rochelle rejaillit sur l’état de Montauban. On évoqua la possibilité de la soumission de la ville. Le 20 août 1629, le cardinal de Richelieu se présentait à la porte de la cité protestante, à une lieue de la ville. Noailhan, le premier consul, vint à sa rencontre et lui présenta les clés de la cité. S’en était fini de Montauban la protestante. Que devint Pierre Bérauld ? Il dut taire ses sentiments politico-religieux. Mais il conserva sa place de professeur à l’Académie. En 1631, il fut envoyé par les Églises du Haut-Languedoc au synode national de Charenton et là, il fit amende honorable. Depuis cette époque il se fit oublier, continuant à remplir ses double-fonctions de pasteur et de professeur, jusqu’à sa mort qui arriva en 1642.