The Witch
Les esprits maléfiques ont le vent en poupe dans le cinéma d’horreur contemporain (Paranormal activity, Conjuring,). À côté de films à sensations fortes, qui fonctionnent sur un principe de parc d’attraction (stimuli sensoriels, musique qui souligne les effets horrifiques,), on trouve parfois des œuvres intenses, riches en symbolique, qui s’apparentent aux contes populaires. Y résonnent alors les angoisses de notre époque, liées à la crise des valeurs en Occident, ou à la transmission de celles-ci.
On y rencontre ainsi souvent des femmes traumatisées par une incapacité passée à protéger un/leur enfant : Fragile, L’orphelinat, Dark Water, The descent… reposent sur ce schéma de départ. Le monstre figure alors, entre autres, la culpabilité qui les ronge, le deuil impossible. Pendant masculin de ces personnages qui luttent contre la folie, William, puritain évangélique fondamentaliste, quitte au début du film une communauté visiblement très rigoriste mais pas assez à ses yeux, et installe sa famille en bordure d’une forêt. Peu à peu, une force maléfique se manifeste, détruisant les récoltes, prenant possession de et détruisant les membres de la famille l’un après l’autre. L’action se passe quelques décennies avant les sorcières de Salem, et c’est le même phénomène d’hystérie collective puritaine qui semble à l’œuvre, à l’échelle de la famille.
Malentendu
Assez mal reçu par le public jeune, The Witch souffre d’un malentendu intéressant : il refuse la logique du parc d’attraction pour privilégier le réalisme, la reconstitution minutieuse du quotidien des colons, de leurs costumes, de l’architecture de leur cabane ; les dialogues sont en grande partie issus de chroniques de l’époque. Et Eggers a privilégié l’éclairage d’époque, donc les chandelles pour les séquences nocturnes. Un jour souvent blafard, aux couleurs blêmes, grisâtres, contraste avec des clair-obscur qui rappellent les grands maîtres de la peinture du 17e siècle. C’est à peine si le final du film consent à offrir à l’amateur de violence horrifique de quoi se contenter. D’un point de vue esthétique, ce « premier film » est magistral. L’ambigüité fantastique est longtemps préservée, entre explication paranormale et hystérie familiale. Élément déclencheur du maléfice : Thomasin, fille du couple, est « devenue femme ». Son frère Caleb est troublé par sa poitrine naissante, et ses parents veulent la confier à un couple de fermiers amis. La supposée sorcière prend d’ailleurs une apparence séduisante pour s’emparer, corps et âme, de Caleb. L’agonie de celui-ci prend l’allure d’un exorcisme au terme duquel il dit mourir dans les bras de Notre-Seigneur. Le puritanisme de la famille, instillé par le fanatisme du père, semble appeler la violence qui se déchaîne sur elle. Difficile de ne pas y voir une métaphore d’une partie de l’Amérique contemporaine, puritaine, paranoïaque et convaincue d’être investie d’une mission divine. Si le diable est présent dans le film, si on entend sa voix, la mise en scène laisse un doute : Thomasin, rejetée, accusée par les siens de sorcellerie, n’a-t-elle pas en fait joué le rôle qu’on attendait d’elle ? Dangereuse parce que femme, dans un milieu puritain et patriarcal oppressant, elle n’a d’autre issue que la folie.
En savoir plus
Film : canado-américain
Réalisateur : Robert Eggers
Année : 2016
Acteurs : Anya Taylor-Joy, Ralph Ineson, Kate Dickie
Production : Jodi Redmond, Daniel Bekerman et Lars Knudsen
Résumé : En 1630, dans la Nouvelle-Angleterre, une famille de colons se sépare de sa communauté, le père jugeant celle-ci insuffisamment religieuse. La famille s’installe en bordure d’une forêt hantée par une force maléfique.