Une bénédiction arrachée aux ténèbres
« Je ne te laisserai pas avant que tu ne m’aies béni » (Genèse 32,27). Ce récit biblique du combat de Jacob avec un adversaire, dont on ne sait pas très bien s’il est divin ou humain, peut parler de manière très forte à toutes les personnes qui font face à la mort.
A la fin de la nuit
Cette parole est celle que Jacob adresse à l’homme qui s’est roulé avec lui dans la poussière pendant toute une nuit au torrent du Yabbock. Jacob après 20 ans passés à l’étranger est sur le point de revenir sur la terre de son peuple et de retrouver sa famille d’origine. Il est sur un seuil et a peur de la rencontre avec son frère Esaü, qu’il a trahi 20 ans plus tôt en volant par ruse la bénédiction de leur père Isaac. La nuit tombe. Jacob, après avoir fait passer ses femmes et ses enfants par le gué du torrent, se retrouve seul. C’est au cœur de l’obscurité et de sa solitude qu’il va mener un combat avec un mystérieux adversaire. Est-ce un ange, un démon ou Dieu lui-même ? Le texte ne le dit pas. Ce qui est certain c’est que Jacob est transformé au cœur de ce combat. Jacob, le « supplanteur », se voit blessé et béni dans ce corps à corps avec cet adversaire inconnu et reçoit une nouvelle identité : il devient Israël, celui qui lutte avec Dieu et avec les hommes et qui l’a emporté. Cette fois-ci la bénédiction n’a pas été volée mais arrachée aux ténèbres et à la solitude et le lendemain Jacob a pu marcher à la rencontre de son frère.
A la fin de la vie
Je me permets de relire cet épisode dans le contexte particulier de la fin de vie. Jacob, seul, dans la nuit, représente cette solitude de la personne qui sait qu’elle va mourir et qui avance vers l’inconnu, avec la peur de mourir sans avoir été reconnue pour ce qu’elle est, ou vécu des temps de réconciliations avec ses proches. Dans mon ministère d’aumônier hospitalier, j’ai pu constater que la personne très malade ou en fin de vie, qu’elle soit croyante ou non, a un besoin fondamental : celui de vivre une rencontre en profondeur avec un autre humain qui saura l’accompagner dans ses combats intérieurs, « se rouler avec elle dans la poussière », accueillir ses angoisses, ses tiraillements, ses peurs pour elle-même ou pour ses proches. Je me rappelle le cas de cette maman qui m’avait convoquée pour l’accompagner jusqu’au bout de son chemin. Comment quitter cette terre en paix alors que, selon elle, l’un de ses enfants « ne marchait pas sur le bon chemin », au contraire de ses frères et sœurs ? C’était la souffrance spirituelle qui la taraudait. M se reprochait de ne pas avoir su transmettre à ce fils un héritage spirituel. Dans ce cœur à cœur singulier, un horizon s’est petit à petit ouvert pour cette maman : lâcher prise et écrire avant de mourir une lettre d’amour à chacun de ses enfants. L’accompagnant spirituel n’est-il pas le témoin de ce Dieu qui se roule dans la poussière avec nous et qui nous bénit, qui dit du bien sur nos vies, Parole vivante, agissante qui nous arrache à la mort et aux ténèbres ?
Pasteur Agnès Vez Desplanque,