Jacques Jaujard (1895 - 1967) : patrimoine
Jacques Jaujard est un homme discret. Un génie visionnaire, sauveur du patrimoine artistique français.
Il a l’air sévère et une rigueur toute protestante. Ce sous-directeur des musées nationaux ne croit pas aux accords de 1938. Il craint que les heures sombres frappent à la porte de l’histoire. Il sait que chaque œuvre porte en elle la beauté d’une civilisation dont elle est la mémoire. Chaque œuvre est le témoignage d’un homme, de son génie et de son temps. Risquer de perdre ce patrimoine, c’est perdre son âme, son identité. Alors une seule mesure s’impose : l’évacuation des musées nationaux, en y incluant les vitraux des cathédrales de Strasbourg, Chartres, Rouen et Amiens.
Évacuation du Louvre.
On connait mal le travail qu’il entreprend dans plusieurs musées. En revanche, celui du Louvre est connu. Plusieurs témoins, dont Lucie et André Chamson, protestants, le racontent dans leur mémoire. J. Jaujard imagine un plan d’évacuation. Il le teste en 1938. De sorte que le 25 août 1939, il fait fermer le Louvre. Et dans la soirée, 800 toiles sont retirées des cadres. Au cours des 2 jours qui suivent, 200 personnes emballent 4000 chefs d’œuvre. Un travail colossal ! Mais il n’y a pas que des peintures : les livres, les archives, les antiquités grecques et romaines, les dessins, les tapisseries, les meubles sont minutieusement emballés. Plus de 200 véhiculent quittent Paris. Le dernier chef d’œuvre est évacué le 3 septembre 1939, le jour même de la déclaration de guerre. Lorsque le 16 août 1940, il reçoit l’officier allemand Franz von Wolff-Metternich, qui s’avèrera être un appui, chargé de prendre le contrôle des chefs d’œuvre français, seuls des vieux clous sont au mur.
La conservation
Après avoir imaginé ce projet monumental, il assure le suivi des œuvres. D’abord au château de Chambord, puis elles sont dispersées. Lors de la création de la zone libre, une partie des œuvres viennent en Sud-Ouest. C’est ainsi que de grandes caisses arrivent à Pau, Saint-Blancard (Gers), Montauban ou au Lac Dieu. Ces nouveaux convois traversent de justesse la ligne de démarcation. J. Jaujard s’engage aussi dans la Résistance. Il fait partie du NPA (Noyautage Administration Publiques), ce groupe de hauts fonctionnaires qui œuvre contre le régime qui les emploie, et du réseau Samson. Ce meneur d’homme encourage ses troupes, leur écrivant billets et consignes. Il ouvre son appartement du Louvre pour cacher des armes ou des hommes. Ainsi, grâce aux messages qu’il envoie, avant le débarquement, les alliés savent où se trouvent les châteaux occupés par l’armée allemande et ceux occupés par les œuvres d’art ! Les collections publiques mettront près de 4 ans pour regagner les musés qu’ils avaient dû fuir. Pour le Louvre, « de clou à clou » tout est revenu.
Destin personnel
Il fera connaissance d’une figure de la résistance, Jeanne Boitel, célèbre comédienne française engagée, de nom de code Mozart. Elle répertorie les œuvres séquestrées par les allemands et rencontre J. Jaujard pour discuter des œuvres qu’il a dissimulé. Il en devient fou amoureux, mais il est déjà marié. Il divorcera plusieurs années après leur rencontre. À la libération, il devient entre autres Secrétaire Général du ministère des affaires culturelles avec André Malraux, qui le congédiera sans élégance quelques années plus tard.
En savoir plus
<Extrait des mémoires de J Jaujard>
« Maintenir, quelle belle devise pour les jours d’épreuves ».
« Il n’y a que deux catégories d’hommes, ceux qui pensent aux autres tout autant ou plus qu’à eux-mêmes et ceux qui pensent qu’à eux-mêmes, au point de nuire aux autres ».
« Avant et pendant l’action, j’ai l’impression d’être libre ».
« Tout homme gagne à être connu, il est souvent meilleur que ce que l’on pensait, et toujours plus malheureux ».