Peut-on rire de tout ?
C’est la question que posa à son public Pierre Desproges...
... lorsqu’il reçut, dans son tribunal des flagrants délires, un invité peu enclin à la plaisanterie : Jean-Marie Le Pen. Au terme de son « réquisitoire », le procureur Desproges conclut que l’on pouvait rire de tout, mais pas avec n’importe qui.
Auprès d’une personnalité plus amène, Bernard Pivot, Desproges raconta l’histoire suivante : Ray Charles, à l’issue d’un concert au Carnegie Hall, rencontra une jeune journaliste qui lui demanda comment il parvenait à irradier de joie alors que sa vie se déroulait dans l’obscurité sans espoir de sa cécité. « Cela pourrait être pire, répondit Ray Charles, je pourrais être noir. » Voilà sans doute une définition de l’humour : distance et liberté par rapport à soi et par rapport au sujet de la plaisanterie, qui invite l’autre à la même distance, à la même liberté. C’est partager, sous la légèreté du trait d’esprit, une gravité qui demande à l’autre plus qu’une tolérance commode et hermétique, une réelle volonté de compréhension. Qui le sollicite entièrement, avec son irritation et son indignation s’il le faut, plutôt que de lui demander l’autorisation magnanime de rire sans lui. Alors peut-on rire de tout avec les protestants ?Chacun y réfléchira s’il le souhaite, alors que nous nous apprêtons à commémorer les dix ans de l’attaque de Charlie Hebdo. Si notre tempérament râleur et insatisfait est internationalement reconnu, souvenons-nous que nous vivons dans un pays où l’on peut aussi mourir de rire.
Bonne année à tous.