Toni Erdmann
Ce film est l’histoire d’un père et de sa fille. Le père est un professeur d’école à l’humour déjanté. La fille, elle, est une consultante financière suroccupée. A l’image de Dieu, le père vient questionner sa fille sur le sens de son existence.
Je m’attendais à voir un film drôle. Mais ce film, même s’il peut être très drôle par moments, ne se réduit pas à cela. Il introduit un questionnement. Certes, ce père ne comprend rien aux priorités de travail de sa fille et met les pieds dans le plat en permanence. Mais, en même temps : la fille est-elle si heureuse, si épanouie, si puissante que cela ?
Quelle liberté ?
Le film commence autour du repas d’anniversaire de la fille. Mais elle est absente, rivée sur son smartphone. Elle ne vit pas le temps présent, ne sait plus saisir le « kairos », le moment juste. Alors le père va s’appliquer à la ramener dans la réalité. Il va faire irruption en plein milieu du hall de son entreprise, affublé d’une perruque et d’un dentier invraisemblable. Il la réveille pour un petit déjeuner festif et se fait « jeter » car sa fille a oublié un rendez-vous « shopping », soi-disant informel mais oh combien obligatoire, avec la femme du patron. Le regard paternel semble alors dire : « ma fille, es-tu si libre que cela ? » Le film bascule lorsqu’ils se retrouvent tous les deux à une célébration de Pâques, dans une famille roumaine orthodoxe. On veut leur apprendre à peindre des œufs, activité qui doit paraître parfaitement « inutile » et désuète aux yeux de la fille, mais à laquelle elle va se plier quand même. Et quand le père lui dit au moment de partir : « on pourrait les remercier » – « mais avec quoi, on n’a rien prévu », répond la fille, – « tu pourrais chanter quelque chose » propose le père. Elle entonne alors un tube populaire de Whitney Houston.
Quelle force ?
Malgré son apparente puissance, cette fille ploie sous sa fragilité. Aussi, la scène où elle essaie de s’extirper d’une robe trop moulante en se tordant dans tous les sens résonne comme une nouvelle naissance. Voilà enfin que le cocon craque pour laisser apparaître une femme libre. Cette nouvelle naissance est sans doute l’œuvre de Toni Erdmann… Comme une figure du Christ, avec tout son côté loufoque et incompris, il se fait « signe de contradiction, chute et relèvement de beaucoup » (Luc 1,34). Comme le Christ aussi, il ne se laisse en rien impressionner par ce qui impressionne tout le monde. Il est un père qui vit dans le moment présent, provoquant l’inattendu, et cet inattendu s’avère être une possibilité de vie nouvelle pour sa fille. Si le film commence autour d’un repas, il se termine aussi ainsi : le repas après les obsèques de la grand-mère. Le père et sa fille sont là tous les deux et se retrouvent dans le jardin. « Tu me prêtes ton dentier ? », dit-elle et, en le mettant dans sa bouche, son visage change de façon radicale pour devenir le visage de quelqu’un qui n’est plus membre du club des gagnants. Comme quoi, ça ne tenait pas à grande chose. C’est avec cette question qu’on quitte le film : « Et vous, qui êtes-vous ? »