Une voix prophétique
Face au conflit Israël-Hamas, une voix prophétique empêche la pensée binaire et permet de prendre de la hauteur pour sortir de l’impasse de la guerre.
Parfois j’entends que l’Église doit avoir une voix prophétique.
Une parole claire, évangélique et tranchante sur les affaires du monde. Mais, attention, la voix prophétique fait mal :
« Maintenant que ce charbon a touché tes lèvres, ta faute est enlevée, ton péché est pardonné » (Ésaïe 6,7). Plusieurs interprétations existent de ce verset, je n’ai pas l’intention d’en ajouter une autre. Je le prends à sa valeur « populaire » dans l’expression « ça me brûle les lèvres », dans le sens que j’ai l’intention de parler.
Face à la guerre, les lèvres brûlent
Quand j’entends les personnes qui soutiennent inconditionnellement les actions de la riposte légitime d’Israël face à l’invasion et la guerre menées par le Hamas, ça me brûle les lèvres de leur dire que le mot « inconditionnel » n’a pas sa place dans les actions militaires de l’État juif. Quand d’autres disent que l’action du Hamas était une réaction « naturelle » produite par des années de persécutions et d’ humiliations, ça me brûle les lèvres de dire que la terreur, la prise d’otages, les brutalités et la boucherie dans les kibboutz ne sont pas du tout naturelles, mais barbares. Ça me brûle les lèvres de dire que l’État d’Israël n’est pas choisi par Dieu, pas plus qu’un État palestinien.
La voix prophétique s’élève…
… pour condamner une politique qui colonise systématiquement des territoires « occupés » contre toute loi internationale et qui refuse l’accès aux soins des civils. Cette même voix doit se faire entendre quand le projet terroriste du Hamas est d’éradiquer l’État d’Israël par tous les moyens. Cette voix s’élève pour exiger que les peuples puissent sortir de la bande de Gaza et que les hôpitaux et écoles ne soient pas des cibles militaires. Cette voix condamne également l’usage de ces mêmes hôpitaux et écoles comme caches d’armes et de combattants. Mais cette voix-là ne sera pas entendue. Elle est criée dans le désert où seul un écho murmuré revient des parois rocheuses à celui qui la prononce. La voix prophétique fait mal parce qu’elle n’est pas audible par les partisans ni d’un camp, ni de l’autre. Et tous regardent le prophète avec mépris.
Ce conflit ouvre une faille en nous,
non pas parce que les pays concernés sont des pays « de la Bible », mais parce que cette faille se creuse à l’intérieur de moi. Je ne sais pas où se trouve mon point de non-retour. Jusqu’où le mépris et l’humiliation que je subis peuvent-ils exploser en action violente? À quel moment le droit légitime de me défendre peut- il devenir une soif de vengeance ? La solution (s’il en existe une) ne se trouve pas dans un projet de vouloir éradiquer toute trace du Hamas, qui ne produira que des cendres d’où s’élèvera le Phénix d’un nouveau Hamas. Elle ne se trouve pas, non plus, dans l’extermination des juifs d’Israël qui donnera naissance à un autre retour d’exil.
Cessez, cessez
Donc ça me brûle les lèvres de crier :
« Cessez, cessez de vous entre-tuer. Cessez de prendre des postures d’ éternelles victimes. Cessez, cesser… et mettez-vous à table. »
« Parlez, dialoguez, négociez, écoutez. »
« Peut-être » qu’un ange trouvera une brèche dans vos cœurs pour s’installer à votre table. Et « peut- être » que cet ange aura assez de charbons dans son brasier pour toucher vos lèvres afin que
« écouter » puisse se transformer en
« entendre » et que, chemin faisant, entendre devienne « entente ».
Il est bien léger, presque insigni- fiant, ce peut-être, pas plus consé- quent que le tracé de fumée des braises mourantes qui restent dans le brasero de l’ange. Mais c’est ce « peut-être » que nous soutenons avec toute la force de nos prières.