Des explications sur le projet de loi contre le séparatisme
Le 9 décembre 1905 était promulguée la loi de séparation des Églises et de l’État, après une adoption large devant l’Assemblée nationale le 3 juillet (par 341 voix contre 233) puis le Sénat le 6 décembre (par 181 voix contre 102). Elle mettait fin à la notion de culte reconnu, pour adopter le double principe de laïcité pour l’État et de liberté pour les Églises. La laïcité publique « à la française », d’inspiration libérale et non antireligieuse, postule l’Église libre dans l’État libre, autour de quelques articles emblématiques. L’article premier dispose que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes. » Les restrictions admises le seront « dans l'intérêt de l'ordre public ». L’article 2 dispose que « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. » L’État connaît ainsi toutes les religions, mais n’en reconnaît aucune, en invitant les Églises à se constituer en association cultuelle pour assurer leur administration et leur gestion.
Si les israélites et les protestants l’ont appliqué immédiatement, la loi a d’abord suscité la très vive opposition des catholiques, avec pour symbole l’encyclique « Vehementer nos » du pape Pie X, le 11 février 1906. Cependant, sous une fibre gallicane, mais aussi au prix d’aménagements concédés, les catholiques ont fini par se rallier à l’application de la loi pour constituer les associations « loi de 1905 ».
En 115 ans d’application, la loi n’a finalement suscité aucun conflit politique ou religieux majeur. Bien que née d’une fracture, elle fait aujourd’hui consensus, en étant pleinement reconnue comme partie du socle républicain.
Cependant, le gouvernement s’inquiète de l’usage de la liberté religieuse à l’aune de la montée des communautarismes et leur cohorte séparatiste de la République, ce qui a conduit le ministère de l’Intérieur à déposer un projet de loi le 9 décembre 2020, destiné à lutter contre le séparatisme et à « renforcer » la laïcité. Derrière la sémantique politique du « renforcement », il s’agit bien d’une proposition de modification de la loi de 1905, selon une procédure législative accélérée, qui mérite l’attention à un double niveau.
Sur le plan philosophique, une bascule semble opérée entre l’esprit libéral de 1905 et la volonté actuelle de contrôle du culte. Après s’être émancipé des Églises, et avoir été soucieux de ne pas se mêler de religion, l’État veut désormais utiliser l’instrument des associations cultuelles sous l’objectif de ramener dans le giron républicain le culte musulman, très peu constitué en association « loi de 1905 », et plus généralement empêcher toute pratique religieuse séparatiste (entendue comme encourageant chez le fidèle la primauté de règles religieuses même contraires à l’ordre public).
Sur le plan pratique, il est prévu un contrôle accru de l’État sur les associations cultuelles avec, entre autres, un régime d’interdiction préfectorale, un renforcement des obligations administratives quant à la gouvernance et la comptabilité, et une responsabilité pénale majorée pour les administrateurs des associations. François Clavairoly et Jean-Daniel Roque ont été auditionnés à l’Assemblée nationale pour la FPF (Fédération protestante de France) et ont fait part notamment de ce qu’un renforcement trop lourd des obligations à respecter par les associations cultuelles puisse attenter « globalement » à la liberté de culte elle-même.
Les Églises protestantes n’ont pas à avoir peur du débat législatif sur un « renforcement de la laïcité », mais elles doivent comprendre qu’elles sont pleinement concernées.