Jean Marteilhe, galérien du roi, au nom de sa foi

06 décembre 2023

Sur plus de 60 000 galériens condamnés au xviie et xviiie siècle, un seul a écrit ses mémoires : le protestant Jean Marteilhe, de Bergerac, arrêté à la frontière hollandaise alors qu’il tentait de fuir l’intolérance religieuse. Il passera 12 ans comme forçat sur les galères.

Le récit qu’il nous livre de sa terre d’exil, après sa libération et quelques 20 ans avant sa mort survenue à l’âge de 93 ans, associe les combats navals, la cruauté des garde-chiourmes, les conditions épouvantables de ses compagnons d’infortune mais aussi des détails pleins d’humanité révélant la hauteur d’âme d’un homme de conviction.

De Bergerac jusqu’aux galères

« Je suis né à Bergerac, en l’année 1684, de parents bourgeois et marchands qui, par la grâce de Dieu, ont toujours vécu et constamment persisté jusqu’à la mort dans les sentiments de la véritable religion réformée.»

C’est ainsi que Jean commence son récit. Puis il raconte comment le duc de la Force (Henri Jacques, 5e duc ; descendant du compagnon d’armes du roi Henri IV ; qui a été converti enfant, est devenu un redoutable persécuteur d’huguenots) sème la terreur dans son duché.

À tel point que la princesse Palatine écrit : « Il a horriblement persécuté les pauvres réformés, ce qui lui fit obtenir une pension, avec l'appui du père La Chaise et de la Maintenon. » En 1700, Jean Marteilhe n’en peut plus et décide de s’exiler en Hollande. Car : « On mit chez mon père vingt-deux de ces exécrables dragons et je ne sais par quelle politique le duc le fit conduire en prison à Périgueux […] ils traînèrent ma désolée mère chez le duc, qui la contraignit, par les traitements indignes qu’il lui fit, accompagnés d’horribles menaces, de signer son formulaire (de conversion). »

Avec son ami Daniel Legras, Jean parvient à traverser clandestinement la France mais, au poste frontalier de Charleville-Mézières, ils sont arrêtés et mis en prison. Et ce sera la condamnation aux galères perpétuelles.

La vie aux galères

Jean nous raconte toutes les rencontres qu’il fait : le curé ignare qui essaie de convertir à coup de citations du catéchisme mais aussi l’évêque qui, à sa façon, essaie d’améliorer le sort des prisonniers en leur procurant des vivres et de l’argent pour acheter l’indulgence des geôliers ; les coreligionnaires qui finissent par abjurer car ayant trop peur mais également le réseau de soutien clandestin qui parvient parfois à faire parvenir un peu d’argent aux condamnés.

Mais même si le parlement de Tournai essaye de faire libérer Jean et son compagnon d’infortune, une missive de l’intendant du roi lui-même met fin aux espoirs de libération.

Plus personne ne pourra aider les deux malheureux qui seront enchaînés et amenés ainsi à Dunkerque où ils seront mis sur la galère L’Heureuse. Ces galères tiennent plus d’établissements pénitenciers que de navires de guerre. Le roi Louis XIV en a 40 dont 34 sont basées à Marseille ; il faut 260 rameurs sur une galère normale, les tribunaux doivent en fournir les effectifs. Cependant les protestants ne sont pas condamnés par besoin de main d’œuvre, mais pour faire des exemples, pour faire peur.

Si l’on étudie les registres d’écrou, qui comptabilisent les 60000 entrées entre 1680 et 1748, on constate que les 1 550 « galériens pour la foi » représentent 4 % de l’effectif.

Les conditions de vie d’un galérien sont effroyables. Enchaînés nuit et jour (pour manger, dormir et faire le reste sur place… On reconnait une galère à son odeur !) à 6 sur un banc pour tirer et pousser une rame de 160 kg, en butte aux quolibets des autres galériens, maltraités par les garde-chiourmes qui manient facilement le fouet, 40 % des galériens ne survivent pas plus de 3 ans.

Jean Marteilhe y restera 12 longues années. Il ne nous épargne aucun détail de ses souffrances mais nous raconte également la solidarité parfois improbable entre compagnons d’infortune, les petits gestes de compassion de certains gardiens, les efforts des coreligionnaires pour adoucir leur sort.

Et pendant ces 12 années de souffrance, Jean Marteilhe reste fidèle à ses convictions. Pas une seule fois l’idée lui vient de se convertir, ne serait-ce qu’en surface, malgré les efforts des prêtres qui régulièrement reviennent à la charge.

Les galères ne sont pas toute l’année en mer : l’hiver elles sont en cale sèche, en général à Marseille ; les officiers rentrent alors dans leur famille et les forçats restent à bord à tricoter des bas ou sont mis à disposition des artisans du port. La nuit ils dorment tant bien que mal dans leur galère.

C’est un petit monde où il y a beaucoup de cruauté mais Jean raconte :

« Cependant, tous ces scélérats, quelque méchants qu’ils fussent, témoignaient toujours beaucoup d’égards pour nous autres réformés. Ils ne nous appelaient jamais que Monsieur et n’auraient jamais passé devant nous sans nous saluer.

Je puis dire en bonne vérité, que ces gens-là, tout vicieux qu’ils étaient, me portaient une vraie révérence et c’était à qui serait le premier à me rendre de petits services. »


La libération et la vie après la galère


En 1713 prend fin la guerre de succession d’Espagne avec le traité d’Utrecht. La France y perd entre autres le port de Dunkerque à l’Angleterre et les soldats anglais obtiennent accès aux galères françaisesqui s’y trouvent encore. Et ils y trouvent les forçats protestants.
Leur fureur est telle que la reine Anne d’Angleterre elle-même va intervenir auprès de Louis XIV qui finit par faire relâcher les religionnaires à condition qu’ils quittent le royaume. C’est ainsi que Jean Marteilhe retrouve enfin la liberté le 17 juin 1713. Installé d’abord à Genève, il finit par rejoindre Amsterdam où il s’installe comme négociant. Avec l’aide du pasteur Daniel de Superville, il écrit ses Mémoires, ouvrage publié pour la première fois en 1757 et dont Michelet dira : « c’est un livre du premier ordre par la charmante naïveté du récit, l’angélique douceur, écrit comme entre terre et ciel. » Jean Marteilhe mourra en 1777 à 93 ans.

Son livre se lit encore aujourd’hui comme un roman d’aventures, plein d’humour et de verve.

Il est en accès libre sur le site Gallica de la BNF ou par ce lien : https://fr.wikisource.org/wiki/ La_vie_aux_gal%C3%A8res/2.

Réédité également chez Mercure de France en 2001

Elisabeth Brinkmann
comité de rédaction d’Ensemble

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