La solitude
La ville d’Agen avait pris lors des dernières élections municipales l’engagement d’œuvrer pour rompre l’isolement ; elle a organisé une table ronde interreligieuse sur le sujet avec Céline Gary-Bulourde, pasteure de l’EPU d’Agen, Haïm Korsia, grand rabbin de France, Tareq Oubrou, grand imam de Bordeaux et Jean-François Serres, référent national de MONALISA (association luttant contre l’isolement des personnes âgées).
L’isolement social, Jean- François Serres
La solitude est définie par des temps de repos dans la relation à l’autre ; moments personnels où l’on se construit et où on se repose, rêve, prie innove…. On peut aimer la solitude.
L’isolement social, c’est quand la solitude se referme sur la personne. Il n’y a plus de vis à vis pour échanger. S’il n’y a personne qui s’intéresse à ce que vous vivez dans la solitude, alors la solitude devient pesante, elle est silence absolu…
L’isolement social est une pauvreté relationnelle ; c’est la situation d’une personne qui n’a pas assez d’interactions sociales et qui en souffre (mort sociale). Sept millions de français sont dans l’isolement social : ils n’ont des contacts avec des personnes que quelques rares fois dans l’année.
La qualité de la relation entre en jeu ; une personne âgée peut souffrir d’isolement social au milieu d’autres personnes (EPHAD par exemple), quand elle n’a pas la capacité d’être au bénéfice d’échanges relationnels (voir dans le regard de l’autre qu’elle existe). L’isolement social se développe dans le sentiment d’inexistence de soi. Exister, c’est avoir cette altérité qui permet de savoir que j’existe dans l’intérêt de l’autre. En cas de coup dur, il faut pouvoir appeler quelqu’un, ou compter pour quelqu’un qu’on aide. Le tissu relationnel se développe au travail, dans l’amitié, dans les communautés confessionnelles, associatives… mais parfois, il n’y a plus aucun échange.
L’association MONALISA investit dans l’accompagnement, mais c’est difficile, car l’engagement citoyen pour prendre soin des autres est plus rare. Et les individus libres d’aujourd’hui n’ont pas de place définie à l’avance dans une communauté. Du coup, il survient une sorte d’inquiétude car il faut conquérir des relations. Ceux qui ont une histoire familiale ou locale, des réseaux ont un support qui les porte. Dans le cas inverse, les personnes doivent constituer « avec leurs forces » des relations. L’isolement social renforce les inégalités. Il y a un cercle vicieux entre isolement social et pauvreté.
Conquérir des relations sociales, Céline Gary
Pendant le confinement, nous avons fait le constat d’une grande pudeur pour dire son isolement. Le fait que le pasteur est soumis au secret professionnel facilite la confidence. Il s’agit de briser un tabou, celui d’oser dire ce trop-plein de solitude, ce manque relationnel, vu comme une faiblesse personnelle. Après réflexion dans la communauté, l’idée est de développer une équipe de visiteurs ; pas comme prestataire de service ou pour faire du chiffre, mais juste pour aller à la rencontre de l’autre. C’est parfois une vraie conquête !
Rencontrer quelqu’un qui vous confie que vous êtes la première personne vue depuis plusieurs semaine est très déstabilisant ; car la personne se pose la question de l’utilité de sa vie, de la trace qu’elle va laisser sur cette terre puisqu’elle ne compte pour personne (sentiment d’inexistence).
Pour répondre à l’isolement, une équipe de huit visiteurs a téléphoné à toutes les personnes afin d’établir un contact, une relation, rappeler que la personne appelée compte pour le visiteur… l’ancrage chrétien de la démarche se trouve dans l’idée que nous sommes tous frères et sœurs en Christ, tous liés par l’Esprit du baptême. Une réflexion sur comment vivre ce lien fraternel a participé à la mise en route du groupe de visiteurs.
L’isolement, Tareq Oubrou
La condition existentielle de l’homme est la solitude ; l’homme est solitaire quand il nait et quand il meurt. La solitude doit choisie pour être en face de lui-même car la société aliène : retraite pour retrouver son ipséité et une relation transcendantale. La solitude subie ne touche pas que les personnes âgées ; cela arrive dans la cour de récréation, dans la famille…
L’état providentiel ne suffit plus pour lutter contre l’isolement ; au contraire, cela a développé l’idée que l’état va tout gérer. Pourtant il y a une angoisse existentielle, car chacun peut perdre (son travail, sa famille…). Le sentiment de vulnérabilité développe le souci de l’autre. La solution est dans l’éducation : il faut apprendre la solidarité à l’école.
L’isolement des uns ou des autres par la stigmatisation est le fonds de commerce de certains partis politiques. Il vaut mieux développer la vulnérabilité et la solidarité.
La vulnérabilité, Haïm Korsia
Quand on n’a pas le sentiment de risquer quelque chose, d’être vulnérable, on ne peut pas entrer dans une démarche de solidarité. La force collective est définie par le maillon le plus faible. Dans les démarches administratives, l’absence de lien est maintenant la règle. Cela va dans le sens de l’isolement social. Lors du confinement, l’utilisation « La distanciation sociale » était vraiment malheureuse, car elle disait que l’autre est dangereux. Il aurait mieux valu utiliser l’expression « distanciation physique » car on a tous essayé dans cette période d’isolement de créer du lien social. Il faut revenir sur l’idée que la solitude est une forme de défaillance du projet humain, car fondamentalement l’humain cherche son frère ; il ne vit pas seul ou isolé. Il fait l’expérience qu’aller vers les autres, c’est se sentir utile. La mise en commun, le partage crée du lien humain. Il faut éviter de segmenter la société par religion, ou par origine géographique… il faut s’engager au service des plus vulnérables, car le pire pour la société est l’indifférence de l’autre.