Le virus s’appelle Jacques
Cette pandémie est une épreuve. Elle bouscule, désoriente et nous plonge dans une profonde énigme. C’est du jamais vu. La moitié de planète à l’arrêt ! Une radio d’information à pour slogan « tout est clair », je crois que là, c’est l’exact inverse. Nous sommes dans le brouillard le plus épais. Notre fonction, notre rôle, comme chrétien et protestant est d’essayer avec d’autres de ne pas se tromper de chemin après ce gigantesque coup de pied dans les fesses et dans les têtes. L’épître de Jacques, en particulier les chapitres 4 et 5 affirment, en s’adressant aux classes dirigeantes et avec une grande violence, que personne n’est maître de sa propre vie : ni ceux qui n’ont d’autres horizons que de réussir, ni ceux qui augmentent leur fortune. Ces pages ne font pas la morale, elles veulent avant tout faire surgir la Parole. Leur objectif est d’interpeller l’intelligence de ses destinataires. Jacques veut les mettre en situation de percevoir une vérité que leur raison récuse jusque-là. Alors, il déconstruit l’univers existant pour susciter une conversion et affirme : le seul but de la vie ne peut pas être l’enrichissement personnel, la prétention d’être autonome et suffisant est une chimère, et enfin, rien ne permet de maîtriser ce qui est reçu comme un don, la vie. Jacques parle aux décideurs, ils sont, comme nous tous, une « buée fugace aussitôt dissipée » verset 14. Il appelle à l’introduction d’une altérité qui va donner sens à ce qui est fait, « la volonté » du Seigneur. Elle humanise les projets, les restitue dans une perspective plus modeste et ordonnée à une autre fin que celle de la richesse. Ainsi les classes dirigeantes, il y a deux mille ans, sont appelées à un sursaut ! Jacques pense même qu’elles sont coupables d’injustice vis-à-vis des ouvriers qui travaillent pour elles. J’ai l’impression que le virus fait retentir l’épître de Jacques grandeur nature. Nous n’avons jamais autant parlé de renversement de valeur, de protection de santé, de solidarité avant toute chose. Les logiques comptables deviennent secondes ! Mais, c’est à nous maintenant d’écrire la suite, une seconde épître de Jacques. L’état d’esprit du confinement ne doit pas retomber comme un soufflet. Plus facile à dire qu’à faire. C’est un peu sentencieux, je le reconnais, mais c’est notre vocation. C’est un engagement social comme politique. C’est une valorisation des convictions chrétiennes de soutien, d’entraide, d’interdépendance, de confiance et une accentuation du maître mot protestant « libre et responsable ». Il faut donner un appareil critique à une population prête à croire toutes les théories du complot qui se présentent, refuser tout bouc émissaire idéal, travailler sur les questions éthiques qui vont sortir du bois comme la peur de l’autre et le repli sur soi. C’est encore résister au traçage par nos téléphones portables. Pour moi, il n’est pas acceptable d’emprunter la voie du traçage numérique, même pour une bonne cause. Une fois ouverte le processus est irréversible. L’empressement et la pseudo efficacité sont l’ennemi de la liberté. Il n’est pas question que mes faits et gestes soient connus, tracés et répertoriés. Oui nous avons besoin de toutes les mains pour écrire cette deuxième épître de Jacques afin que nous trouvions vraiment une juste valeur des choses.