Santé, solidarité, des projets torpillés
Ne pas en parler serait faire la part trop belle à une violence mal identifiée, mais fort coûteuse, qui frappe de manière insidieuse.
Rendons justice à deux projets collectifs visionnaires qui auraient pu voir le jour et qui ont été torpillés tout près du but.
Montpellier
Au nord de Montpellier, un « grand site social » d’héritage protestant devait voir le jour, porté par l’Association languedocienne pour la jeunesse (qui prend soin ici de mères mineures) et la Maison de retraite protestante. Les deux institutions, implantées côte à côte dans un site magnifique, avaient besoin de mettre aux normes leurs locaux. Elles décidèrent en 2009 d’harmoniser leurs efforts pour créer un site intergénérationnel diversifié, comprenant un parc et une place publics.
Le projet installait une progression subtile des seuils entre l’intimité et la rencontre des autres. Il fut soutenu et financé par les pouvoirs publics. Les architectes, dont je suis, y travaillèrent pendant plusieurs années. Mais voilà : dans le site, une voisine, professionnelle du droit, fit tout pour retarder, procès après procès, la possibilité de construire ce projet qui pourtant tenait compte de toutes ses demandes. Elle utilisa à son profit la lenteur de la justice. L’agenda des mises aux normes des locaux existants ne pouvant plus attendre, le projet visionnaire fut abandonné début 2023.
Gâchis d’argent public, gâchis de bonnes volontés, de vie meilleure pour plusieurs populations fragiles.
Dax
Dans les Landes, parlons à présent d’un village Alzheimer visionnaire qui a ouvert en 2020. Le projet était prestigieux. Le député Henri Emmanuelli avait vu aux Pays-Bas un village conçu pour accueillir les personnes atteintes de cette maladie, un village dans la ville, très peu séparé de la vie normale. Aujourd’hui on enferme ces gens ; là-bas on les avait gardés « avec nous ».
Le député remua ciel et terre pour réaliser un tel village à Dax. Il trouva les fonds, une excellente équipe d’architectes. Les plans diffusés montrent l’intelligence des solutions. Henri Emmanuelli mourut en 2017. Mais le village fut construit.
Je suis allé le voir en février 2023, et voilà : je découvre sur place qu’il est implanté dans une zone d’activité économique, sans habitations à proximité. Je me heurte à des clôtures, des portes à digicode, des barrières qui n’étaient pas sur les plans. Les sorties extérieures des chambres ont été supprimées. On me dit qu’il fallait bien empêcher ces gens de partir : « C’est pour leur sécurité. » Je retrouve donc un milieu fermé comme il en existe beaucoup – une prison de luxe cette fois, car les financements étaient importants pour aider cette innovation qui devait faire école.
Personne ne proteste, les articles publiés sont tous élogieux, mais ce n’est plus le courage que l’on salue, c’est l’abondance des moyens et la mémoire du député.
Deux exemples de projets qui étaient courageux, l’un perdu, l’autre dévoyé tout près du but. Deux exemples aussi d’une forme de violence qui atteint, au-delà des artisans de ces projets, des personnes malades, des mères mineures, des personnes âgées, des bébés qui viennent de naître : une population qui ne parlera pas.