Les vacances, que du repos ?
La manière de vivre en vacances est très variable, tiraillée entre ceux qui revendiquent une non-activité et ceux qui ont un programme bien chargé. Réflexion et témoignage.
Pendant longtemps, pas question pour moi de « chômer » en vacances. Il fallait absolument visiter un jour un musée, l’autre un site exceptionnel…
Était-ce un héritage de mon protestantisme paternel, cette névrose de devoir rembourser par l’activité le cadeau gratuit de tout ce qui nous était donné par Dieu, en premier lieu sa grâce qui pourtant dans sa radicalité nous inciterait à ne pas faire plus que les lys des champs et les oiseaux du ciel qui ne sèment ni ne moissonnent ? De ma famille maternelle lorraine pour qui – traumatisée par trois guerres – il ne « faut pas gâcher » ? Pas question de perdre tout ce temps donné, toutes ces choses à découvrir ! Les vacances : un travail à faire sérieusement avec force étude des agendas de la presse locale.
Ma femme et mes filles ne l’entendaient pas de cette oreille. J’ai longtemps ressenti leur résistance à mon activisme vacancier comme une injonction au repos qui me laissait entre mauvaise conscience – les oiseaux du ciel, Stéphane ! – et frustration – mais quand même, la foire à la saucisse ! Puis mon épouse m’a converti à la grâce. Se poser sur un banc, tourner mes paumes vers le soleil, ressentir ses rayons et soupeser son poids. Se laisser remplir par cette sensation, en être grât. Être grât – de gratitude – de seulement cela. Apprendre que ne rien faire n’était pas rien mais se nourrir et se faire plaisir de peu. Il y a un temps pour la course et un temps pour le grât.
Mais de quoi profiter ? J’ai la chance d’avoir choisi mon métier (ou été choisi par lui ?) et de l’aimer : rencontrer les personnes, les écouter, avancer avec elles, lire, découvrir, réfléchir, écrire… Mais jamais assez de temps, beaucoup de choses à faire, trop de relations sociales… Le trop, trop vite et donc parfois mal peut gâcher le plaisir. En vacances, j’ai plaisir à régulièrement passer mes matinées à terminer un gros travail universitaire ou un livre. À laisser le cerveau en sortir doucement – et pas toujours facilement – le temps du repas et se reposer l’après-midi : le cerveau est un muscle qui produit en se détendant. À être un « pasteur de vacances », rencontrant une communauté locale sans enjeu, laissant se promener dans ma tête, en contact avec les découvertes de la semaine et les souvenirs de l’année, un texte biblique qui inspirera la prédication du dimanche, ai-je l’impression de travailler ? Suis-je encore en vacances ?
Cette expérience d’un temps où l’on a enfin le temps ne permet-elle pas justement de contester cette division travail/vacances ? Jacques Ellul et Bernard Charbonneau voient naître, dans les années trente, le « tourisme », les « loisirs » et l’aspiration au « retour à la nature ». Fuite par rapport à une vie technicienne insatisfaisante, ce sentiment de nature est la revendication d’une vie plus libre, plus simple, d’un rapport d’humain à humain. Mais en faire un temps à part – sacraliser le week-end, l’été... – alors « la vie quotidienne n’aura plus de signification et ne sera plus qu’attente des vacances » : « Ce n’est pas d’un dimanche à la campagne dont nous avons besoin mais d’une vie moins artificielle. » Ni travail, ni vacances, un autre rapport aux temps, aux autres, à la nature…